Ce 27 février, la Cinematek et l'UPCB vous proposait une projection du Diable au corps de Claude Autan-Lara, adaptation passionnée et culte du roman de Raymond Radiguet.

Voici la présentation par notre confrère Richard Harris :
Je vais évoquer le film avant d'évoquer le film. Après tout, sans le roman, il n'y a pas de film. J'avais 15 ans, à 5000 kilomètres de mes proches, lorsque j'ai lu le livre dans mon cours de Français. L'école avait d'ailleurs un excellent département français - en quatre ans nous avons tout couvert de François Villon jusqu'au Nouveau Roman, ce qui incluait Le Diable au cirps.
Pas besoin de le préciser : le livre a eu un profond effert sur moi. Un auteur de bestseller qui avait presque mon âge ! S'il pouvait le faire, alors moi aussi...Et puis, quel étonnement de voir ce protagoniste qui avait mon âge et qui avait une relation avec une femme plus âgée ! Et puis la mort aussi, à un si jeune âge...Quel romance !
Radiguet a quitté l'école à quinze ans pour devenir journaliste et quand son livre a été publié quatre ans plus tard, avec une campagne de pub massive et plus de 50.000 exemplaires vendus ! Imaginez : le roman d'un auteur de dix-sept ans seulement ! Cet engouement a agacé la critique pour son "mauvais goût", mais la qualité de l'écriture a elevé le livre au-delà du scandale, qui était non seulement causé par le caractère illicite de l'histoire d'amour mais aussi par l'irrespect ressenti par les vétérans qui venaient tout juste de revenir de la guerre. La mort de l'auteur, quelques semaines après la publication du roman, fut la clôture d'une légende romantique prédéstinée à devenir un film.

Donc, tournons-nous maintenant au film. Le réalisateur du film, Claude Autant-Lara, est une personnalité difficile, pleine de contradictions qui a réalisé 47 films en 54 ans. Il a également été scénariste, costumier, directeur artistique et acteur.
Pendant les années vingt et trente il avait eu une carrière avec quelques hauts et beaucoup de bas, y comprit une période à Hollywood durant laquelle il réalise des versions françaises de films américains. Finalement, à partir de 1939 il commence à avoir du succès. La réalisation du Diable au Corps en 1947 l’établit comme réalisateur prestigieux et inaugure son âge d’or de réalisations : l’Auberge rouge, le Blé en herbe, Le Rouge et le Noir, En cas de malheur, et en apothéose La Traversée de Paris.
Mais pas tout le monde est séduit. Son adaptation du roman de Stendhal Le Rouge et le Noir en 1954, lui vaut de fortes critiques de la part des futurs cinéastes de la Nouvelle Vague, qui lui reprochent d'incarner un cinéma dépassé. Dans un article publié dans les Cahiers du Cinéma, un jeune François Truffaut s'en prend à ce symbole d'« une certaine tendance du cinéma français »,. En réaction, Autant-Lara critiquera invariablement l'ensemble du mouvement de la Nouvelle Vague.

Pendant les années quarante et cinquante il est connu comme cinéaste de gauche et est profondément impliqué en plusieurs syndicats mais durant les années quatre-vingt il se rapproche du Front national etest élu député européen sur la liste FN, mais deux mois plus tard démissionne en raison de propos antisémites.
La réalisation du Diable au corps lui donne l’occasion de créé un cinéma provocateur et il dit « Si un film n’a pas de venin, il ne vaut rien.» A sa sortie à Bordeaux le film avec Micheline Presle et Gérard Phillipe dans les rôles principaux est critiqué pour « inciter à l'exaltation de l'adultère et prôner l'antimilitarisme. » Des journalistes font un pétition pour que le film soit retiré de l’affiche. Les organisations d’anciens combattants expriment leurs colère.
A la projection au Festival de Bruxelles (organisée par l’APCB) del’avant-première du film ce fut un énorme scandale. Dans un entretien accordé au Soir en 2010, Micheline Presle déclare: "À un moment de la projection, sans doute lors d'une scène de lit, l'ambassadeur de France s'est levé et a dit: 'C'est scandaleux, c'est une honte !' Et il est sorti en claquant la porte. Dans mes souvenirs, ça a fait un incident diplomatique important."

Par contre Jean Cocteau, qui avait eu une influence capitale sur la carrière de Raymond Radiguet, dit du film “On aime les personnages, on aime qu'ils s'aiment, on déteste avec eux la guerre et l'acharnement public contre le bonheur.” »Et Gérard Philippe reçu le Prix d’interprétation.
La production était en grande partie financée par des capitaux américains (la Transcontinental Films )mais contrairement aux usages américains Claude Autant-Lara disposait des droits artistiques, notamment le contrôle du montage. Mais il eut à se battre avec la Transcontinental Films qui voulait couper les scènes tournés dans une église ou dans un contexte religieux pour apaiser la censure américaine. Finalement Autant-Lara eut gain de cause.